La porte de l'Auxance
Histoire d’une sculpture monumentale
par Ch Nicol, fondateur des Compagnons des Lourdines
Tout a commencé en novembre 1999, alors que je m’entretenais avec Didier Moreau, qui était alors le maire de Migné. Beaucoup de villes et villages souhaitaient donner une importance à l’événement que constituait le passage du 2ème au 3ème millénaire, d’où l’idée d’un ouvrage marquant l’entrée de la commune. Le symbole de la porte venait tout de suite à l’esprit et c’est ce thème qui nous a inspiré dans notre démarche. Réfléchissant ensuite dans la tranquillité de mon bureau, je laissais mon crayon courir sur le papier. Tout de suite, il m’est venu à l’idée que, plutôt qu’une simple porte symbolisant ce changement de millénaire, il était intéressant de délivrer un message sur ce qui était le fondement de notre association et du patrimoine de la commune : la pierre des Lourdines. S’agissant de matérialiser une œuvre valorisant la commune, son blason devait aussi figurer, d’autant plus qu’à l’époque, une parfaite osmose régnait entre les deux parties participantes à ce projet. La municipalité, consciente de la richesse patrimoniale que constituait le site des Lourdines , s’impliquait totalement dans notre démarche et prévoyait de nous aider à monter nos projets : Maison de la pierre, aménagement d’une carrière accessible au public, participation à « La route de la pierre ».
Au fur et à mesure que se dessinaient les éléments constituant cette sculpture, les formes se précisaient : La porte romane en son centre, accolée de la petite porte piétonne,( importante en Poitou-Charente) ; les messages mettant en avant les spécificités de la commune : Auxance, sa rivière et sa pierre. Restait à rendre l’ensemble harmonieux, d’où l’idée du grand oiseau prenant son envol (ou atterrissant….. c’est selon !) pour donner au faîtage du mur, une forme liant l’ensemble. Le croquis réalisé, restait à le formater, à le mettre à l’échelle. Ce fut l’œuvre de Marcel Bodin qui, après avoir passé sa vie professionnelle à « appareiller » des ouvrages de toutes sortes, se passionnait pour l’aquarelle.
12 mètres de long, 4m50 au point haut. |
Sa maquette d’un très bel effet, finissait de séduire l’investisseur, en l’occurrence la municipalité.
A propos d’investissement, il fallait maintenant le chiffrer. Marcel, à nouveau mis à contribution, réalisait le plan au 50ème, établissait le « calpinage » permettant de solliciter le fournisseur de pierre pour obtenir un prix quantitatif.
La matière première, ne pouvant en réalité sortir que de la seule carrière en exploitation, les belles roches, la société France pierre était contactée.
Entrée de la carrière des "Belles roches" |
A partir du calpinage de Marcel, il s’agissait de chiffrer le façonnage de blocs de pierre sciés 6 faces. A notre grande surprise, alors que cet ouvrage est quelque part une promotion pour cette belle pierre, leur bureau d’étude nous sortait un prix prohibitif équivalant à 4647,60 f le m3 ht.
Contactée, la carrière de Vayolles à Bertegon, proposait les mêmes prestations à 3149,37 le m3 ht.
Débitage du bloc à la scie (2m de diamètre) |
De la même façon, l’entreprise mignanxoise, dont le siège est à proximité immédiat du site sur lequel est érigé l’ouvrage, estimait sa prestation consistant à réaliser une semelle en béton et le maçonnage des pierres à
Présenté au conseil, le projet était accepté et inscrit au budget pour 130 000 f .
Ces questions de gros sous mises à part, les Compagnons mobilisés sur le projet, montraient beaucoup d’enthousiasme pour y participer. Je les sentais malgré tout un peu inquiet quand au passage à l’acte. Quand nous en discutions, je sentais des grands points d’interrogation sur la manière de procéder
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Ces questions de gros sous mises à part, les Compagnons mobilisés sur le projet, montraient beaucoup d’enthousiasme pour y participer. Je les sentais malgré tout un peu inquiet quand au passage à l’acte. Quand nous en discutions, je sentais des grands points d’interrogation sur la manière de procéder
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<<Un ouvrage aussi important, serons nous capables de le réaliser ? Comment allons nous organiser ce chantier ?>>
<< Jusque là nous nous étions contenté de réaliser des petits ouvrages, un tel projet n’est il pas trop important pour notre équipe ? Ne sommes nous pas présomptueux en nous engageant dans une telle aventure?>>
Entre temps, les élections avaient totalement changé la donne et nous passions d’une équipe partie prenante du projet, décidée à nous faciliter la tâche en assurant la logistique : lieu du chantier, manutention, coordination, aide des services techniques, à une nouvelle équipe donnant l’impression de subir le choix des prédécesseurs. Le seul critère qu’ils veulent prendre en compte : ça va coûter 110 000 f ! Considérant d’une manière totalement arbitraire et mesquine que cet investissement bénéficiait à l’association. De leur point de vue, cet ouvrage n’est pas l’aboutissement d’un savoir faire, qui pourrait se traduire par le mur des « Compagnons », mais est devenu pour eux le mur des lamentations. Faisant abstraction du travail réalisé par les bénévoles participants ( 800 heures x 200fr = 160 kf qui, rapproché des 110 kf investit par la commune est sans commune mesure), ne voulant pas prendre en considération que les premiers bénéficiaires de cette sculpture sont forcément les élus, du fait de l’image de marque que nous leur apportons sur un plateau, par la transformation de la matière brute mise à notre disposition, en une œuvre d’art, d’autant plus que nulle part sur l’ouvrage ne figure notre nom . Excusez ma réaction, mais je trouve cette attitude révoltante, et même insultante à notre égard !
Malgré ce peu d’enthousiasme marqué par nos édiles, le chantier a pu se dérouler dans de bonnes conditions. Nous avons dans un premier temps trouvé un lieu pour nous héberger, nous et ce stock impressionnant constitué par les 300 blocs de pierre répartis sur 18 palettes, représentant 10 m3 de matière première, soit 20 tonnes. Un grand merci à Joël Abonneau qui nous a si bien accueillis dans son hangar.
Les pierres stockées chez Joël Abonneau |
Chers compagnons, je me rappelle de votre attitude lorsque vous avez découvert l’ampleur de la tâche !
Vos grands yeux interrogateurs, votre appréhension devant cette masse de pierres.
<<Mais combien de temps nous faudra t’il pour venir à bout de ce « tas de pierre » ? >>
Marcel Bodin, le chef d’orchestre, a tout de suite affiché les règles du jeux. Un panneau pour recevoir le plan et les feuilles de calpinage, permettant à chacun de repérer, à partir de son numéro, la localisation de chaque pierre dans l’ouvrage.
Avec Jean Bobin, nous avons en premier lieu, établi un « chantier » constitué de madriers pour asseoir la base du blason. Manipuler des blocs dépassant les 100 kg, les ajuster sur ce chantier, ne fut pas chose aisée. Les blocs sciés 6 faces, n’étant pas prévus pour être travaillés, me semblaient, suffisamment propre pour ne pas nécessiter notre intervention. Marcel, interrogé sur le sujet, nous persuada vite du besoin de les « layer » si nous voulions réaliser un ouvrage digne de ce nom. 20 tonnes à manipuler (2 ou 3 fois) pierre par pierre.
Le layage : Les prendre sur la palette, les porter sur le poste de travail, tracer le sens de layage, le réaliser, les remettre sur une palette en respectant l’ordre du numérotage.
« Nos » femmes compagnons, ont assuré en grande partie ce travail, et appris de ce fait à manier l’outil à layer.
Femmes au "layage" |
Le blason : Bernard, Michel, Jean se sont tout de suite sentis des affinités avec les armes de Migné. Le tracé, à partir d’un document municipal à l’échelle très réduite, n’a pas posé trop de difficultés. Par contre, au cours de l’exécution, se sont posés les problèmes du relief à donner aux différentes parties du blason. Composé de plusieurs pierres, les joints ne tombaient pas forcément au bon endroit. Disposé à
L’équipe étant composée de perfectionnistes, les détails furent revus et corrigés plusieurs fois.
Ebauche du blason |
Les textes : Le choix du graphisme a été fait arbitrairement par moi. Considérant qu’il fallait marquer la différence entre les deux textes, Pierre des Lourdines a été réalisé dans une police contemporaine, alors que pour Porte de l’Auxance, mon choix s’est porté sur un classique aux formes arrondies.
Un graphisme contemporain |
Avec un relief de 4 cm , chaque lettre a nécessité un travail de « défonçage » pour sortir sa forme de la masse. Cette partie du travail, se rapprochant de ce que nous faisons habituellement en atelier, un grand nombre de compagnons ont réalisé les lettres.
Mais qui est ce "Pierre des Lourdines" ? |
Les voussoirs : Ne bénéficiant pas d’espace suffisamment large et plan pour dessiner grandeur nature les arcs et ensuite la ligne du couronnement, Marcel a du réaliser les panneaux (gabarits) sur une feuille de contre plaqué, en décomposant les détails. Muni de ces précieux gabarits, la réalisation des éléments des voûtes, n’a pas posé de problème majeurs.
Marcel Bodin prépare le tracé des voussoirs |
Le couronnement : Chaque pierre composant le faîtage du mur, était différente, du fait de son tracé. Les gabarits de Marcel, posés sur la pierre à travailler, donnaient des profils étranges. C’est le moment qu’a choisi André pour venir nous rejoindre. Tailleurs de pierre de père en fils dans sa famille, son intervention (même tardive) a été précieuse, nous a apporté un autre éclairage sur la taille de pierre. Je me souviens des airs ébahis quand, à l’aide de la « chasse», il faisait éclater la pierre sur une surface impressionnante. L’association peut se féliciter de cette recrue qui va lui apporter beaucoup pour les années à venir. De même, l’utilisation du « taillant » qui, manié de main de maître, permet d’avancer le travail.
Les impostes : Ces pièces importantes dans l’esthétique des arcs des portes romanes, nécessitaient une attention particulière. C’est Laurent qui a accepté de gaieté de cœur cette tâche. Alors qu’il n’avait jamais réalisé une moulure, il s’est acquitté à la perfection de ce travail délicat.
Autre sujet de satisfaction, toutes ces personnes, non membres de l’association qui, spontanément sont venus s’associer à notre travail et ont participé à ce projet.
L’anxiété du départ devant l’ampleur de la tâche, a vite fait place à un engouement extraordinaire. Le chantier démarré mi juin, ne s’est jamais arrêté. Tous les mercredis et surtout samedi, une douzaine, voir quinzaine de compagnons se retrouvait sur le chantier et 4 heures durant, le joyeux tintamarre des massettes sur l’outil faisait chanter la pierre.
Un esprit d’équipe s’est instauré, chacun des participants se sentant faire partie d’un groupe engagé dans une aventure hors du commun. Pendant 6 mois ce projet a mobilisé toute notre énergie, si bien que maintenant qu’il est terminé, on se sent un peu orphelin de notre œuvre.
La municipalité tient cette œuvre pour « quantité négligeable »
Alors que notre sculpture était dévoilée au public début janvier 2001, l’inauguration se faisait attendre. Rencontrant le maire inopinément, il me dit <<Pour l’inauguration, on va faire quelque chose de très simple. Avec quelques élus, nous nous rendrons sur votre chantier chez Joël Abonneau et nous offrirons un « pot » aux compagnons. >> Tout ce que méritait ces 800 heures offertes bénévolement, c’était un pot à la sauvette ! Mais c’était faire abstraction de notre capacité à mettre en scène une inauguration digne de ce nom. Avec Didier Moreau, notre Président, nous rencontrons Xavier Caillaud, Directeur de la SACOA et Président de l’union des commerçants. Cette union s’est d’ailleurs appropriée notre sculpture en choisissant comme nom « Porte de l’Auxance » et ce, sans même nous avoir demandé l’autorisation. Avec Xavier Caillaud, nous programmons une manifestation qui regroupe les associations de Migné et les élus. Le 20 avril 2001, plus de 300 personnes se pressaient dans le hall de la Sacoa. Alain Claes député, Maurice Monange pour la CAP , et les élus mignanxois. Le groupe de sax-trompettes « Auxband » de Benoît Millet et la chorale « Le chœur de l’Auxance » comme animation, ce fut un succès sur tous les plans. Seul le maire faisait un peu grise mine de voir son « pot » en catimini, se transformer en un show médiatique qu’il aurait été incapable de mettre sur pied.
Autre exemple de mauvaise volonté :
Lors de la réception des allemands de Bann, ville jumelle de Migné, à la Comberie , dans son allocation, le maire a dit : <<Depuis votre dernière visite, vous avez pu constater les transformations de la commune : Les plaques originales des noms des rues et, les fresques de Marie Baranger dans notre église (elles ont été réalisées il y a un siècle). Pas un mot sur notre sculpture, pour le maire elle ne fait pas partie du paysage.
Elle fait d’ailleurs si peu partie du paysage que tout un chacun peut voir que depuis 5 ans qu’elle est érigée sur ce rond point, aucune plantation, aucun fleurissement, aucune mise en valeur par quelques projecteurs, bref un tas de cailloux qui ne mérite pas qu’on s’y attache !
Mais mes amis, cette réalisation peut être considérée à juste titre par chacun de nous, comme un chef d’œuvre. Elle se dresse maintenant fièrement sur ce site stratégique, interpellant tous ceux qui empruntent cet échangeur. Chacun de nous scrutera l’ensemble et distinguera « ses pierres » celles qu’avec amour il aura façonné.
Notre savoir faire étant tangible, notre sculpture monumentale servant de référence, nous serons appelés à d’autres défis que nous relèverons avec fierté.
A défaut de quelque lettre que ce soit du principal bénéficiaire de l’ouvrage, la municipalité de Migné, voici ce qu’écrivait une habitante de Poitiers :
Ci-dessous, la lettre de Mme Varenne :
<< Poitiers le 5 février 2002
Mme Monique Varenne
24 rue Gabriel Morain
86000 Poitiers
Messieurs
Voici une très heureuse initiative et une réalisation non moins admirable. Nos ancêtres, qui ont vécu sur cette terre mignanxoise et ont, pour certains, souffert dans les carrières des Lourdines, reçoivent là un hommage, leur vie même en est digne. Sans oublier les femmes qui ont perdu la vie aux Lourdines.
Harmonie des formes, choix du décor, élégance de cet ouvrage, ravissent l’œil.
Dans un monde où la beauté a parfois perdu ses lettres de noblesse, il est réconfortant de se dire qu’un témoin du courage et du bon goût sera légué aux générations futures.
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